Témoignage de Robert Merey,
matricule 79441, Kommando Klinker,
ayant rencontré Elie Blachier,
matricule 79224, Kommando Klinker
Mon père, Elie BLACHIER quand il a été arrêté, travaillait dans une fonderie importante de la région lyonnaise « Les Aciéries du Rhône », usine réquisitionnée dépendante des Aciéries de Givors. Mon père a été arrêté pour avoir participé au sabotage à l’intérieur de l’usine avec les FTP. Mon père à cette époque appartenait au « FN » mouvement communiste très actif dans la région de Lyon.
(«Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France », dit « Front National », est créé par le Parti communiste français en mai 1941.
Elie BLACHIER né le 09/03/1900 en Ardèche
Arrêté le 03/03/1944
Interné à Montluc jusqu’au 04/04/1944
Interné à Compiègne du 05/04/1944 au 02/05/1944
Déporté à Buchenwald du 02/05/1944 au 02 /07/1944
Déporté à Sachsenhausen, Kommando Klinker du 02/07/1944 au 03/05/1945
A Klinker il est au bloc 2KL, sous le matricule 79724, c’est là qu’il rencontre Robert MEREY
Cher Monsieur,
En référence à votre lettre j’ai effectivement connu votre père.
Je suis arrivé à Klinker au bloc 2 en mars 1944, mon numéro de matricule est 79441.
La vie au Kommando de Klinker était une survie étant donné que ce Kommando exterminait par le travail.
Je me souviens de l’arrivée de votre père au bloc, au moment où il m’a dit je m’appelle BLACHIER
La vie de tous les jours :
Lever tous les jours à 4h.
L’appel à 6h où on nous donnait une sorte de bouillon.
Après nous nous rendions à la fonderie séparée d’environ 2 km.
Avec votre père, nous avons travaillé au noyautage qui consistait à faire le noyau de la grenade (mélange de sable et de mélasse).
La mélasse était au début entreposée derrière les blocs dans des barils, les SS se sont aperçus que nous allions prendre de la mélasse avec nos doigts pour nous donner des forces car c’était du sucre. Après ils ont mis ces barils sous scellés.
Nous repartions au bloc pour déjeuner, nous avions le droit à 2 pommes de terre cuites que nous mangions comme ça suivant les jours et l’humeur des SS. Appel de nouveau pour la fonderie travail jusqu’à 19 h, retour au bloc, appel 1h en général, dans le froid, dans le vent.
Le soir, soupe plus ou moins épaisse. À partir d’une certaine heure, plus aucun mouvement ne devait être effectué dans ce bloc, si nous devions aller aux toilettes il fallait être très prudent. Le bloc se composait de 60 personnes entre l’aile A et B, dans les derniers moments nous étions 2 sur une même paillasse.
La vie dans la fonderie :
La vie dans la fonderie avait sa propre organisation et sa fabrication. À la fonderie il y avait 2 mouleurs à main, un Français et un Danois. Ces mouleurs travaillaient à genoux et faisaient des pièces pour les chars d’assaut. Les fondeurs étaient chargés de porter la fonte en ébullition. Les noyauteurs, une quinzaine seulement de déportés à ce niveau. Notre travail était de mettre le sable et la mélasse dans des moules qui étaient pressés et cuits dans des fours pour obtenir un noyau dur, après nous devions couler la fonte portée à ébullition, celle-ci était versée dans le creuset que nous portions à 3. Le creuset pesait près de 50 kg. Il fallait aller de plus en plus vite pour recevoir cette fonte car les SS nous frappaient et surtout de ne pas tomber, les brûlures de fonte étaient mortelles. Cette fonte servait à faire le bloc qui réceptionnait le moule de sable et la mélasse.
Avec votre père, nous étions au noyautage, il m’a appris à être maladroit, être très maladroit car peu de grenades ressortaient utilisables. Au sein du bloc nous continuions à faire de la résistance, sans essayer de se faire prendre.
Un soir avec votre père nous passons à l’appel, très long, étant donné qu’il manquait un déporté. Les SS nous ont fait rentrer dans notre bloc, nous ont servi une soupe très liquide, et aussitôt nous ont fait ressortir pour un nouvel appel. Dans le bloc il y avait un SS qui possédait 6 chiens, ils sont partis à la recherche du déporté. Celui-ci était mort au pied des fours de la fonderie. Pendant toutes ces heures nous étions toujours au garde-à-vous dans la cour d’appel. Après avoir retrouvé le déporté, ils nous ont fait rentrer dans le bloc, la soupe était gelée. D’autres faits ne me reviennent pas en mémoire dans l’immédiat, mais j’espère avoir l’occasion d’en parler de vive voix.
À la suite du bombardement de la fonderie j’étais à l’extérieur de la fonderie j’ai été projeté dans les marécages du kommando. Après les SS nous ont conduits par camion au grand camp et tous les jours nous revenions sur les lieux pour déblayer et ramasser les morts et les blessés.
Pour ma part j’ai effectué la Marche de la Mort.
Robert MEREY
Dessin d’Elie Blachier par Marc Aynard, à Montluc le 30 mars 1944
Last modified: juillet 14, 2025