Le 9 janvier 2023, avait lieu à Lyon la commémoration du quatre-vingtième anniversaire de la réquisition de la prison de Montluc par les Allemands.
250 personnes, une trentaine d’associations, dont notre Amicale, de l’Union nationale des associations à la mémoire des internés à Montluc par la Gestapo (UNAMIG) ont honoré la mémoire des internés.

Bruno Permezel, Président de l’association des rescapés de Montluc (ARM) a évoqué l’histoire du site :

Le 31 décembre 1942, il y a eu quatre-vingts ans, deux officiers allemands se rendent à la prison lyonnaise de Montluc en vue d’évaluer sa capacité de places. Une semaine plus tard – le 8 janvier 1943 –, notification lui ayant été faite de la réquisition partielle du site par les forces d’occupation, le Gouvernement de Vichy cesse d’incarcérer à Montluc, accepte la présence de soldats allemands au côté des gendarmes français. Commencent à arriver les premiers prisonniers des Allemands.

Le 9 janvier 1943, le général Jean de Lattre de Tassigny, en détention au pavillon des officiers, pour avoir désobéi à l’ordre du Gouvernement de Vichy de n’opposer aucune résistance à l’invasion de la zone sud, ne regagne pas Montluc après lecture de l’énoncé de sa condamnation à dix ans d’emprisonnement par la section de Lyon du Tribunal d’État. Transféré à la prison Saint-Joseph, il rejoint, un mois plus tard, celle de Riom, d’où il va s’évader.

Territoire allemand depuis le 17 février 1943, jour de son entière réquisition, la prison de Montluc, vidée de son personnel français et de l’ensemble de ses détenus par l’autorité française – transférés sur trois sites –, passe sous le contrôle exclusif de la Wehrmacht, au service de la Gestapo.

Dès lors, jusqu’à sa libération le 24 août 1944, Montluc va renfermer une dizaine de milliers d’« indésirables », entassés dans des conditions inhumaines, parce que coupables d’être nés juifs, parce que fautifs d’une présence au mauvais endroit, le mauvais jour à la mauvaise heure, parce que convaincus ou suspectés d’aide à la Résistance.
Couloir de la mort pour environ six cents martyrs, Montluc est en 1943-1944 principalement l’antichambre régionale de l’atroce déportation dans les camps de concentration et d’extermination.

Dans la nuit du 24 août 1944, contre toute attente, survient la libération de la prison.
Passe un demi-siècle d’activité pénitentiaire…
S’y écoulent, entre septembre 1959 et janvier 1961, de très sombres heures de l’Histoire de France qui ne peuvent ni ne doivent être occultées.

En 2000, la décision de construction de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, regroupant l’ensemble des sites pénitentiaires lyonnais, condamne Montluc à la destruction, dans l’indifférence générale. C’était compter sans la réactivité de l’Association des rescapés de Montluc, créée en octobre 1944 par des internés libérés le 24 août précédent.
Déterminée, in situ, dès le 24 août 2000, elle demande officiellement la sauvegarde du site de la prison de Montluc au titre du patrimoine mondial de l’inhumanité. S’ensuit un long combat solitaire de neuf années qui, malgré la plus mauvaise volonté des services de l’État, aboutit, d’abord, le 25 juin 2009, à l’inscription partielle du site à l‘Inventaire supplémentaire des Monuments historiques, puis, le 14 septembre suivant, à la remise officielle du tènement au ministère des Armées, gestionnaire du site promu haut lieu de la Mémoire nationale. 

 

C’est justice de rappeler, en ce jour de mémoire, que sans l’invraisemblable ténacité de Beate et de Serge Klarsfeld à confondre en Bolivie Klaus Barbie, à le faire extrader en France, puis à le faire juger sur le lieu de ses crimes, jamais Montluc, geôle régionale de la Gestapo, ne serait devenue Mémorial, c’est-à-dire un sanctuaire durable de conservation du souvenir d’une entité remarquable.

Cette entité, dont le qualificatif ‘’remarquable’’ est à employer avec des guillemets, fut, à Montluc, en 1944, la commission de deux crimes contre l’humanité reconnus par la cour de cassation, puis par la cour d’assises du Rhône, dans le cadre des poursuites engagées contre Klaus Barbie.
Clé de voûte du Mémorial de Montluc, ce crime exceptionnel du droit international, imprescriptible, doit avoir été la résultante d’un plan concerté visant soit à exterminer des êtres humains, pour les exclure de la communauté humaine, soit à leur réserver un traitement inhumain, à raison de leur race, de leur religion ou de leurs opinions, ou, encore, à raison de la résistance qu’ils ont opposée à ce plan concerté.

Ainsi, la remémoration, au sein du Mémorial, du crime contre l’humanité perpétré les 6 et 7 avril 1944 à Montluc envers les quarante-quatre enfants juifs de la colonie d’Izieu, au lieu même de leur enfermement dans une aile des ateliers, formellement localisé par des témoins à l’occasion du procès Barbie, ne peut être sacrifiée au profit de l’installation, en cet espace, d’une salle pédagogique pouvant trouver une autre implantation dans le site.
Priver le visiteur de Montluc, seul ou en groupe, d’une halte en ce lieu symbolique, propre à faire prendre la mesure de ce crime extrême, ne peut recevoir aucune justification admissible. Quoi qu’il en coûte, les quarante-quatre « innocents » d’Izieu ont, à jamais, le droit moral à l’évocation de leur martyre au lieu même de leur internement. En décider autrement serait un crime contre l’esprit de fondation du Mémorial.

De même, dans l’ancien réfectoire des hommes, partie intégrante de l’aile mémorielle exclusivement consacrée à la répression nazie, l’évocation des 10.000 internés de Montluc et la présentation du crime contre l’humanité perpétré le 11 août 1944 à Montluc envers cinq cents détenus : enfants, femmes et hommes – juifs et résistants -, appelés puis rassemblés pour être dirigés vers les camps de concentration et d’extermination, ne peuvent être diluées au sein d’autres thématiques évoquant des tranches postérieures de l’histoire de la prison. En décider autrement serait un crime contre l’esprit de fondation du Mémorial.
Pareil rejet de ces projets avancés n’est pas le fait de quelques individualités rétrogrades, aveuglées par un militantisme mémoriel, prompt à promouvoir une mémoire sélective.
Dès qu’il a eu connaissance de ces projets, l’ensemble des membres non institutionnels du conseil d’orientation du Mémorial ont rallié à l’unanimité cette contestation pacifique, relayée, depuis le 6 décembre dernier, par une coordination nationale du refus qui a pris le nom d’Union nationale des associations pour la mémoire des internés à Montluc par la Gestapo.

Que nul ne se méprenne. Il ne s’agit point d’occulter les autres mémoires que porte la prison de Montluc, mais simplement de ne pas les confondre. La mémoire d’une Nation est faite d’une addition, non d’une confusion des Mémoires.
Ce n’est point outrager une mémoire que de la hiérarchiser  par rapport à une autre, car rien ne peut être placé en regard du crime contre l’Humanité, érigé par la loi de notre République en crime suprême dont la contestation est pénalement répréhensible.

Assurément, un Mémorial se compose des morts, qui en sont le fondement, aussi bien que des vivants qui veillent à sa pérennité dans le temps. Assurément, il n’existe pas de guerre propre ; les victimes de chaque guerre, reconnues ou non comme telles, ont droit à la même égalité de traitement de la mémoire.
La guerre des mémoires, la rivalité des traumatismes, la concurrence des victimes, le ressentiment n’ont pas droit de cité dans un Mémorial.
Déni de civilisation, notion juridique à ne pas utiliser à contre-emploi, le crime contre l’humanité a sa place à part, il ne peut être dilué parmi les autres. Plutôt que d’applaudir, prenons-nous par la main pour, dans le silence et à la vue des portraits de deux mille des 10.000 victimes de la Gestapo à Montluc, marquer publiquement, profondément, cette évidence.

Rétrospective de la libération de la prison Montluc à Lyon
Vidéo INA

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